Pontaubault ou Pont Aubault ?

Cet endroit fut un passage, un gué très fréquenté par les Romains, et c’est par là que devait se diriger la voie de Cosedia à Condate, passant par Legedia. En réparant le pont, on a trouvé plus de trois cents monnaies du Haut-Empire, entre autres un très beau Caligula en grand bronze.


Ad milliare Gallicanum post Avranches versas méridien calcatur illustris Pont Aubault quem subit fluvius Selune ;
(Topog. Galliae 1659.)
……… Et ut près ce rivage
Où est sur pilotis planté, d’un grand ouvrage,
Le Pont dit de ce Bal, que le peuple rustaut,
Au lieu de Pont au Bal, appelle Pont au Baut.
(J. DE VITEL.)

La petite commune de Pontaubault, traversée par la route d’Avranches à Pontorson, n’a de limites bien naturelles qu’au nord où elle est baignée par la Sélune. Elle est à peu près carrée et s’étend, par une pente rapide, de la Butte-des-Quatre-Vents aux bords de sa belle rivière qui, rétrécie sous les arches de son pont, se dilate en aval et en amont : c’est là que la grève commence. Le ruisseau de Foucaut - « le vieil dieu Foucault la barbe hérissée (Jean de Vitel. La prime du Mont Saint-Michel) », - qui passe à Lentilles, la limite à l’est, un ruisselet la sépare de Céaux ; le faite de la Butte-des-Quatre-Vents la borne au sud.

La Sélune se jette dans les grèves à Pontaubault. Ses noms sont Semma dans le Cartulaire du Mont Saint-Michel, dans G. Le Breton, etc, c’est un nom antique et véritable. On a dit ensuite Sélune par euphonie ; on a même contracté en Selne, selon Dumoulin. On appelle encore Ardre, Ardée, Arduus. Ces noms sont celtiques et signifient la rivière.

Toutes les expressions latines que nous connaissons du nom de cette paroisse confirment la présomption instantanée et, pour ainsi dire, instinctive qu’il renferme un nom propre. On n’a qu’à ouvrir un dictionnaire géographique qui donne des anciens noms latins, et l’on trouvera plus de cent localités dans lesquelles le mot de pont a pour affixe un nom propre. Ainsi les trois ponts principaux de l’arrondissement d’Avranches ont-ils reçu pour affixe un nom d’homme : Pons Gilbert , Pons Gisleberti, Pontaubault, Pons Alboldi, Pontorson, Pons Ursonis.

Cet endroit fut un passage, un gué très fréquenté par les Romains, et c’est par là que devait se diriger la voie de Cosedia à Condate, passant par Legedia. En réparant le pont, on a trouvé plus de trois cents monnaies du Haut-Empire, entre autres un très beau Caligula en grand bronze.

Anne de Bretagne

Une tradition plus récente et plus historique attribue la construction du pont à la reine Anne : le pont étroit pouvait bien remonter à Charles VIII. Peu éloigné de la Bretagne, il était considéré comme le symbole de leur mariage et de l’union de la Bretagne à la Normandie et à la France. M. Cousin dit qu’on prétend qu’il fut construit pour la reine Anne, et qu’elle y passa la première. Un dicton populaire fait rêver à une merveilleuse histoire : - c’est comme Pontaubault : on y travaille toujours, on ne le finit jamais.

Le pont de Pontaubault n’est pas dans l’axe de la route. Cette remarque s’applique à celui de Pontorson et à celui de Ponts-sous-Avranches. La nécessité de la défense peut seule expliquer cette déviation de la ligne droite. Par cette disposition, les abords du pont devenaient comme les deux faces d’une courtine qui battait l’ennemi en flanc, et l’écharpaient dans sa moindre profondeur.

Pontaubault a du être le théâtre de beaucoup d’engagements et d’escarmouches dans les guerres qui désolèrent la France au Moyen-Age et qui étaient, pour ainsi dire, l’état permanent des populations.

Dans la grande lutte nationale du XV e siècle, alors que le roi d’Angleterre possédait la Normandie, qu’il dépeçait et distribuait à sa volonté, comme son ancêtre le Conquérant l’avait fait de l’Angleterre, Pontorson était commandé par un seigneur breton, appelé de Rostrenen, laissé là par le connétable de Richemont. Les Français de la garnison, enhardis par un succès qu’ils venaient d’obtenir sur les Anglais entre Pontorson et le Mont Saint-Michel, essayèrent une chevauchée vers Avranches qui était occupée par les troupes étrangères. Un témoin oculaire, G. Gruel, raconte ainsi cette affaire : « Assez tost dans l’hyver, monseigneur de Rostrenen entreprint d’aller courir devant Avranches (1426) et mena belle compaignée et passant au dessous de Pont-Aubaud se noya en gentilhomme de sa compaignée et conveint faire un peu de demeure illec. Si saillirent les Anglois sur les coureurs et mondict seigneur de Rostrenen arriva et incontinent l’on chargea sur lesdicts Anglois et furent reboutez jusques bien pres de la porte et il y en eut bien trente que morts que prins. Et comme monseigneur de Rostrenen vouloir descendre à pied, arrivèrent environ quatre cents Anglois, dont estoit chef le sire de Furoastre, et si ne scavolent rien lesdits Anglois de la ville de cette venue, non plus que monseigneur de Rostrenen, et vinrent lesdicts Anglois tellement frapper au dos de nos gens en telle manière qu’il conveint désemparer Et bientost après fut prins mondict seigneur de Rostrenen et bien sept vingt et dix de ses gens, et n’y en eut que deux morts. Et cette prinse fut un très-mauvais coup pour Pontorson. Li y vint pour garder ladicte ville monseigneur de Chasteaubriant, puis après y vint monseigneur le maréchal, son frère, qui feirent fortifier la ville le mieux que faire se pourvoit mais on n’y sceut tant faire qu’elle valut guère ».

Quelques années plus tard, dans les mêmes guerres, sous les murs d’Avranches et au passage d’une rivière qui n’est pas nommée, eurent lieu des engagements importants. Deux historiens, M. Richard Seguin, et après lui M. Desroches, ont placé les faits au bord de la la Sélune, à Pontaubault.

A l’approche de l’émigration vendéenne, qui marchait sur Granville, plusieurs tentatives furent faites pour couvrir Avranches : des redoutes furent élevées au Quesnoy, et on essaya de couper le pont de Pontaubault. Une arche fut à moitié coupée, et on voit encore la trace de la rupture, mais les vendéens comblèrent le vide avec des fagots, et les interminables files de cette foule confuse passèrent pendant plusieurs jours pour repasser bientôt moins nombreuses et plus désolées. Pendant l’époque républicaine, un corps de garde fut occupé sur la rive gauche. Au retour les Vendéens du siège de Granville, le général Tribou, qui commandait Pontorson avec 4,000 hommes, en détacha 600 pour couper le pont de Pontaubault ; Lejay et Forestier, deux officiers de la cavalerie vendéenne, qui éclairaient la marche de la colonne vaincue et démoralisée, chargèrent cette troupe et la poussèrent l’épée dans les reins jusqu’à Caugé ou s’engagea un combat important.

L’église de Pontaubault située au bord de la route royale est un modeste oratoire, composé d’une nef au portail roman et d’un cœur. La plus ancienne pièce qui mentionne Pontaubault est une lettre de Henri II, roi d’Angleterre, en 1157, dont Adrien de Valois cite une expression « Pontem Aubaudi ». Cette église fut donnée au milieu du XIV è siècle au Chapitre d’Avranches par Geslin, citoyen d’Avranches. En 1648, l’église de Pontaubult, avait un revenu de 115 liv. En 1698, la cure valait 200 liv. ; la paroisse payait 471 liv. de taille et renfermait 47 taillables. Les nobles personnes étaient alors la veuve de J. Delanoe, écuyer, et son fils. En 1763, Pontaubault faisait partie de la sergenterie de Pigace et renfermait 62 feux.

Propriété canonicale, cette paroisse n’avait pas de manoir ; elle n’avait qu’une grange décimale, dans laquelle on a pratiqué la maison d’école.

Eté 1944 - Bill est un pilote américain, sauté en parachute de son « Liberator » abattu par la D.C.A. allemande le 12 juin 1944. Vêtu de kaki, brûlé au visage, las et affamé, il cherche à rejoindre les lignes américaines, se guidant de nuit et sur les étoiles. Repéré par une institutrice du côté de la ferme Ravalet, il accepte d’être caché dans une vieille boulangerie. Le fils de la maison le soigne au mieux en attendant qu’on lui cherche une solution de repli. Entre temps, vers la mi-juillet, on sent la nervosité des allemands devant la pression américaine. Des escadrilles visent les lignes de chemin de fer, le pont et l’agglomération de Pontaubault. A cette époque, l’église s’effondre. Les réfugiés affluent de plus en plus. Le 31 juillet arrivent les allemands à la ferme, qui ont traversé à pied la Sée et la Sélune pour échapper à la souricière tendue entre Granville et Avranches.

Général Patton

Le 31 juillet 1944, un détachement de la 4e Division de l’Armée Patton s’installait à Pontaubault : le pont était intact. Tout dépendait de celui-ci ; l’état-major allemand l’avait compris : dès le 30 juillet, le colonel Bacherer rassembla tous les restes de l’armée allemande qu’il put trouver dans la région et repris le pont le 31. Dans la soirée, les parachutistes américains furent largués en grand nombre et redevinrent maîtres de ce passage, ce goulot pour lequel l’armée américaine se proposait d’inonder la Bretagne. Deux attaques allemandes, l’une terrestre, l’autre aérienne, tentèrent de détruire le pont, mais sans succès. Dès le 31 au soir, commencèrent à défiler les troupes américaines : en 72 heures, sept divisions américaines, soit plus de 100 000 hommes et 1 500 véhicules, s’engouffrèrent par cette unique voie. « Le sort de la guerre tenait à un pont (P. Carrel). Et le pont résista.

Eprouvé par 15 bombardements, le quartier du pont et l’église, sauf la tour demeurée debout, sont entièrement détruits. Le pont visé 56 fois est resté intact. Cinq civils ont trouvé la mort. 90 maisons ont été détruites dont 60 partiellement.

Pont en juillet 1944